Les espèces profondes

L'expertise sur les pêcheries profondes de l'Atlantique est menée dans le cadre international du CIEM comme pour les nombreux stocks halieutiques dont l'aire de distribution dépasse les limites des eaux territoriales françaises. Ces pêcheries donnent aussi lieu à des partenariats plus poussés, que ce soit avec le secteur de la pêche ou avec d'autres organismes de recherche. Du côté du secteur de la pêche, l'organisation de producteurs PROMA/PMA et l'armement EURONOR travaillent de façon rapprochée avec Ifremer, notamment pour collecter auprès des navires de pêche profonde des données et informations détaillées destinées à améliorer les diagnostics sur les stocks et pêcheries. Du côté scientifique, les pêches profondes et leur gestion font l'objet du projet européen DEEPFISHMAN, commencé en avril 2009 pour une durée de trois ans. Ce projet coordonné par Ifremer, regroupe treize instituts de recherche et universités de différents pays de la communauté européenne, de pays associés (Norvège, Islande) et d'un pays partenaire en coopération internationale (Namibie).

Les pêcheries profondes posent des difficultés particulières pour leur gestion. L'évaluation des stocks des espèces cibles reste difficile, souvent incertaine. Bien que les connaissances sur la biologie des espèces soient encore incomplètes, elles sont suffisantes pour affirmer que les espèces à croissance lente et reproduction tardive ne peuvent supporter qu’un taux d’exploitation très modéré. Par ailleurs les écosystèmes profonds abritent des faunes et communautés benthiques particulières qui peuvent être très sensibles à l'impact des engins de pêche. Un aperçu des pêcheries profondes du Nord-Est Atlantique est développé ci-dessous.

 

Historique des pêcheries profondes 
Dans L'Atlantique Nord-Est, l'exploitation des pêcheries profondes a vraiment commencé à la fin des années 1980 avec les chalutiers hauturiers français qui débarquaient des espèces capturées par des profondeurs allant jusqu'à 1000 mètres et parfois plus, à l'ouest des Îles Britanniques. Une partie de ces navires exploitaient déjà, depuis les années sixante dix, la lingue bleue, une espèce que l'on trouve surtout entre 350 et 900 m. L'intérêt pour ces ressources jusqu'alors inexploitées a probablement été motivé par les problèmes rencontrés sur les ressources plus traditionnelles et facilité par divers progrès techniques (sondeur, positionnement comme le GPS mais aussi des treuils avec de plus grande longueur de câble) ainsi que le développement de la commercialisation du poisson sous forme de filets. La pêche profonde française est aujourd'hui essentiellement pratiquée par des chalutiers mais certaines espèces profondes peuvent aussi être capturées dans des filets fixes ou sur des hameçons.

Espèces profondes 
Ce qui est dénommé profond dépend des régions et des contextes institutionnels ou de recherche. Les organismes vivants, eux, ne connaissent guère les limites définies à des fins de gestion. Ainsi certaines espèces de poissons comme les baudroies ou le congre peuvent vivre de la zone littorale jusqu'à des profondeurs de 1000 m ou plus. Néanmoins, dans les eaux européennes, les pêches dites profondes sont celles qui exploitent en priorité des espèces comme le grenadier de roche ( Coryphaenoides rupestris), l'empereur ( Hoplostethus atlanticus), le sabre noir ( Aphanopus carbo), la lingue bleue ( Molva dypterygia) et les requins profonds appelés sikis ( Centrophorus squamosus et Centroscymnus coelolepis). En plus de ces "espèces cibles" les pêches profondes capturent en moindres quantités des "espèces accessoires" dont les baudroies.

Caractéristiques de l'environnement profond 
Au-delà d'une profondeur de 200 m environ, la lumière solaire ne pénètre pas dans l'océan en quantité suffisante pour permettre la photosynthèse. Il n'y a donc pas de végétaux (d'algues et phytoplancton) dans les écosystèmes profonds et la vie qui s'y développe, dépend de la production végétale des couches superficielles des océans. Différents processus (chute du plancton mort, des cadavres des poissons et autres organismes marins, transport par les courants) apportent de la nourriture aux organismes profonds qui sont donc tous prédateurs ou nécrophages. Il existe cependant localement une production primaire profonde dans les écosystèmes très particuliers que sont les zones hydrothermales mais les espèces profondes exploitées par la pêche ne vivent pas dans ces écosystèmes. Les profondeurs de l'océan se caractérisent aussi par une faible température ( 8°C en moyenne à 1000 m dans l'Atlantique Nord) qui ne varie presque pas au cours de l'année.

Biologie et exploitation des poissons profonds 
Suite à ces conditions d'environnement particulières, les stocks de poissons profonds sont globalement moins productifs (ils se renouvellent moins vite) que ceux de poissons côtiers. De nombreux exemples à travers le monde montrent qu'une exploitation non contrôlée peut rapidement réduire les stocks profonds. Il est néanmoins possible de les pêcher de façon durable, sans mettre en cause leur pérennité, si la quantité pêchée est en adéquation avec les capacités de renouvellement de ces espèces. Le tableau donnant les caractéristiques biologiques des principales espèces montre qu’il ne faut pas généraliser. Ainsi, la durée de vie et la maturité sexuelle varient considérablement selon les espèces. Les caractéristiques biologiques du sabre, comme celle de la lingue bleue, les rapprochent des espèces communes du plateau continental (lieu noir par exemple) et les distinguent profondément des espèces à vie longue (empereur, grenadier).

Impact des pêches profondes sur les habitatsI
Le contact des engins de pêche sur le fond induit un impact inévitable. Les chaluts profonds dont chacun des panneaux peut peser près d'une tonne et le bourrelet plusieurs tonnes laissent des traces. Ces traces restent visibles sur les fonds sableux ou vaseux, mais c'est lorsqu'ils impactent des coraux profonds (préférentiellement appelés coraux d'eau froide, car on les trouve non seulement par grande profondeur, par exemple entre 400 et 1000 m dans le golfe de Gascogne mais aussi par des profondeurs bien moindres dans les régions froides, par exemple 40 m de profondeur en mer de Norvège) ou des zones couvertes de grandes éponges que l'effet des engins de pêche, notamment des chaluts est problématique. Les coraux d'eau froide sont présents un peu partout sur la pente continentale. Ils forment localement des communautés très denses et sont absents d'autres secteurs. Ils abritent une grande biodiversité et doivent à ce titre être préservés, c'est pourquoi certaines zones de l'océan sont désormais interdites à la pêche profonde.

 

 

Régulation actuelle 
La gestion des pêches profondes dans les eaux européennes vise deux objectifs principaux : limiter les captures à un niveau qui garantisse le renouvellement des stocks exploités et préserver des écosystèmes vulnérables notamment les coraux d'eau froide. Ces deux objectifs se traduisent respectivement par des quotas et des zones où la pêche est interdite. La règlementation des pêches profondes comprend des mesures complémentaires pour faciliter le contrôle des pêches (par exemple les espèces profondes ne peuvent être débarquées que dans quelques ports), fournir des informations sur les ressources et écosystèmes (les navires de pêche profonde doivent embarquer des observateurs), les états pêcheurs doivent limiter la puissance de leur flottille par des systèmes de licence. D'autres mesures sont limitées à certains engins de pêche, ainsi aucun filet maillant ne peut être utilisé par plus de 600 m dans une grande partie des eaux européennes. Dans les eaux européennes, l'essentiel de cette règlementation est entré en application en 2003 et est encore en cours d'évolution.

 

En savoir plus sur : 

Projet de recherche européen Deepfishman 

Projet européen CoralFish : Intercation entre coraux profonds, poissons et pêcheries 

Projet européen Hermès : biodiversité dans le domaine profond 

application/pdf Deepsea Fisheries (rapport de 35 pages)