Doit-on interdire la pêche en eaux profondes ?

La question de l'interdiction de la pêche profonde est régulièrement d'actualité de par la pression des ONG, convaincues que les mesures de gestions actuelles sont inefficaces et que l'usage du chalut provoque des dommages irréversibles aux fonds marins et aux populations exploitées.

La définition de la pêche profonde fait encore débat. La Food and Agriculture Organisation (FAO) des Nations Unies définit comme profondes les eaux dont les profondeurs sont supérieures à 200 m tandis que le Conseil International pour l'Exploration de la Mer (CIEM) utilise une limite à 400 m. Dans les eaux européennes, les pêches profondes sont légalement définies par une liste d'espèces capturées qui comprend la lingue bleue, pêchée de 400 à 1300 m ainsi que le phycis de fond, le grenadier de roche et le sabre noir, pêchés par 750 à 1500 m. A ces profondeurs, on trouve aussi l'empereur et des petits squales connus sous l'appellation "siki". Au-delà de 1500 m l'activité de pêche décroît parce qu'elle devient de plus en plus coûteuse tandis que l'abondance des ressources décline. Quelques espèces profondes atteignent des âges très élevés (l’empereur vivrait 120 ans, le grenadier 70 ans). Leur croissance lente et leur reproduction tardive ne leur permet de supporter qu’un taux d’exploitation très modéré. D'autres espèces ont des longévités plus faibles, 25 ans pour la lingue bleue ce qui la rend comparable à la morue, 15 ans pour le sabre noir. En France, les espèces profondes sont exploitées par de grands chalutiers hauturiers basés dans les ports de Boulogne-sur-mer, Concarneau et Lorient. Leurs zones principales de pêche sont à l'ouest de l'Ecosse et autour des îles Féroé.

Suite au déclin constaté de la ressource, des quotas (et même l’interdiction de pêcher des espèces comme l’empereur et tous les requins profonds) et d'autres mesures de gestion (comme la protection des aires de reproduction de la lingue bleue) ont été décidés. Afin de protéger les coraux profonds, les grandes éponges et d'autres organismes benthiques, des zones où la pêche profonde est interdite ont été imposées depuis 2003. La règlementation comprend aussi des mesures pour faciliter le contrôle (ainsi les pêches profondes ne peuvent être débarquées que dans quelques ports), fournir des informations sur les ressources et les écosystèmes (les navires de pêche profonde doivent embarquer des observateurs), limiter la puissance de la flottille des états pêcheurs par un système de licences. Aujourd'hui certains stocks de poissons profonds montrent des signes d'augmentation après être passés par des niveaux très bas, d'autres semblent stables. Dans tous les cas, on ne peut pas espérer de reconstitution rapide pour des espèces à faible productivité biologique.

Les connaissances des poissons et écosystèmes profonds augmentent rapidement. L’aire de répartition, la longévité et la croissance des poissons profonds exploités sont aujourd'hui bien connues. Ceci n’est pas le cas de leur abondance absolue. Les écosystèmes profonds ont été étudiés et cartographiés, ce qui permet d'identifier les zones les plus vulnérables et de les protéger. Le projet européen DEEPFISHMAN coordonné par l'Ifremer travaille à l'amélioration des diagnostics sur les stocks profonds et les pêcheries, notamment à l'estimation de l'abondance, à partir des données officielles, d'échantillonnages biologiques et de données détaillées fournies par les entreprises de pêche. La gestion des pêches actuelle a déjà mis fin à l'essentiel de la surexploitation des poissons profonds. Une meilleure connaissance de ces populations devrait encore améliorer cette gestion et garantir à la fois le renouvellement durable de ces stocks et le maintien d'une activité de pêche.  Une interdiction pure et simple des pêches profondes, dont la durabilité est au moins en partie atteinte, n’apparaît alors pas indispensable à la tenue des objectifs de l’approche écosystémique des pêches.

 

Légende de la photo : empereur, espèce profonde dont la pêche est aujourd'hui interdite